On peut se demander pourquoi, depuis que j'ai ouvert mon blog en Octobre 2016, je n'écris toujours pas sur Tahiti... D'abord parce que je n'y vis pas en ce moment. Ensuite, parce qu'il y a tant à dire et forcément, étant moi-même de Tahiti, je me retrouve face à des dilemmes qui n'ont pourtant pas lieu d'être. Que traiter ? Que dire en priorité ? Dévoiler un peu de ma vie et de celle de mes proches? Vouloir les préserver aussi... En dire trop ou peut-être pas assez...?
J'ai cependant, à chaque article, toujours évoqué Tahiti : un moment, une personne, un lieu... C'est ma manière à moi de rendre hommage au fenua, mon pays, et de le rattacher au reste du monde que je découvre un peu chaque jour... Partie depuis 6 mois, pour l'Europe et le Moyen-Orient, j'ai pourtant dû rentrer à Tahiti en ce début d'année. La vie est ainsi faite qu'il ne faut finalement pas se projeter trop loin, et plutôt "se laisser porter", profiter de l'instant. Paradoxalement, même la perte d'un être cher peut se révéler à vous comme un cadeau. Le départ inattendu de mon papa m'a donc incitée à rentrer. Fallait-il qu'il meure pour que je réalise à quel point j'avais besoin de ce retour aux sources ?
Regarder, écouter et aimer...
En début de séjour, je l'avoue, j'ai passé le plus clair de mon temps à "trainer en pyjama", la tête vide et le manque d'envie de faire quoi que ce soit. Sinon regarder tomber la pluie qui dévastait nos villes, admirer cette force intérieure des polynésiens qui, même inondés jusqu'au cou, continuent de sourire et de penser qu'après le déluge vient le beau temps. J'ai regardé tomber la pluie comme de grosses larmes sur Tiarei, ma commune, et sur notre maison familiale qui se désagrège ... J'ai regardé la plage de mon enfance envahie de bois flottés, et les vagues de Arahoho brunies par la terre rejetée par la rivière Te Faaruumai depuis les 3 cascades. Et même si le soleil ne perçait pas, j'ai aimé...
J'ai regardé mes frères, mes soeurs, leurs enfants, leurs conjoints... J'ai profité des rares amis que j'ai pu voir, j'ai décliné quelques invitations. Parfois aussi, j'ai gardé le silence. J'ai écouté tous ces gens, proches ou inconnus, qui rendaient de vibrants hommages à mon père et à ma mère aussi. Je ne retiendrai que ces discours. Puis, formalités administratives obliges, j'ai déambulé dans la ville de Papeete après la pluie, qui en 6 mois, c'est sûr, n'a pas changé, avec ses devantures, ses immeubles et ses rues qui manquent d'harmonie et qui contrastent avec le quartier Broche et le Front de mer.
Le goût de mon enfance.
Et puis j'ai roulé, beaucoup, entre Tiarei et Afaahiti, par la côte Est et par la côte Ouest ... Sous la pluie. Le ciel, malgré des éclaircies intenses, était plus souvent plombé. Et pourtant j'ai aimé. Je me suis désaltérée de noix d'eau de coco achetées à l'un de ses étals de fortune que l'on trouve en bord de route tout autour de l'île ; j'ai mangé avec l'une de mes meilleures amies ces mangues préparées comme des friandises, et retrouvé, ce même jour, le goût lointain de mon enfance de ces crêpes gluantes à l'amidon et à la banane. J'ai fait quelques travaux dans mon fare, ma maison de la Presqu'ile, et me suis rafraîchie de quelques Hinano et de Twisties en guise de goûter... Oui, le thon cru mariné, les poissons grillés, nos fruits et légumes tropicaux (Uru, 'umara, taro, banane, papaye ou mangue....), baignés dans du lait de coco frais ou arrosés de citron vert avaient une saveur particulière dont je me délectais à chaque bouchée... Est-ce parce que j'avais fixé une échéance et que la veille de mon départ est si vite arrivée ?
La magie opère...
Ce vendredi soir, j'ai pris le bateau pour Moorea en compagnie de mon dernier petit frère et de sa chérie. Nous allions rejoindre ma grande soeur qui y passait le weekend avec sa petite famille. Il fallait que j'en profite, "même pour un soir" m'a dit mon frère... "Tu verras, c'est un cocon magnifique, préservé, qui invite à se ressourcer". La magie a bien entendu opéré, comme d'ailleurs chaque fois que l'on prend le bateau qui rallie Tahiti à Moorea, baie de Vaiare. C'est comme si durant les 30 minutes de navigation dans le chenal, vous traversiez un voile invisible et qu'alors une douce énergie positive se saisissait de vous...Quelques minutes de route dans le fourgon de mon beau-frère, et l'on est arrivé. Assis sur la terrasse en bois d'un petit paradis caché, on a pris l'apéro, mangé, discuté, ri, pleuré, contemplé, face à un ciel immense et un lagon pour seuls témoins. C'était doux.
Alors fallait-il que je reparte ? ... Oui... "Taina", m'a dit mon autre frère durant l'une de nos longues conversations habituelles, "tu ne peux pas toujours vivre en pensant à nous, à la famille... on a tous notre vie... Il faut que tu vives la tienne..." Peut-être au fond, ai-je toujours attendu ces mots. Vivre l'instant présent et qu'importe le lieu, le temps, la distance... Parce que mes êtres chers restent mes êtres chers et Tahiti, je le sais au plus profond de moi, reste mon pays, ma maison. Et même sous la pluie, je les aime.
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